Elle s’appelait Lora, mais les galeries l’appelaient l’ombre claire. Sa vie se déroulait entre angles droits et lumière froide. Tout y était calme, blanc, calculé. Un monde de verre figé. On disait : ici, rien ne déborde. On lui avait cousu la bouche pour éviter les interférences.
Mais sous ses paupières fermées, une danse rouge et noire se tordait. Des formes sans contours. Des corps sans limite. Une joie violente, sans nom.
Dans ses rêves, les murs fondaient. Elle entendait des choses qui n’étaient pas censées exister.
Ses doigts tracent, sans qu’elle ne sache pourquoi. Sur les parois suintent des signes illisibles. Ils ne forment pas de mots, mais ceux qui les effleurent ressentent quelque chose : un vertige doux, un courant dans le plexus. Certains pleurent, d’autres chantent. Un garde a ri si fort qu’il s’est débranché lui-même.
Un vieil homme dit : « C’est comme… si la pierre rêvait. »
Le nom de Lora devient murmure : celle qui fend les surfaces.
Un soir, elle entre dans une caverne aux sons inversés. Là vit l’implanteuse, une femme aux yeux fendus de mémoire et à la peau recouverte de symboles. Elle écoute le silence, puis dit : « Ta bouche n’est pas un vide. C’est un seuil. »
Elle insère sous la langue de Lora un fragment interdit : une larme de résonance, extraite d’un orgue vivant, d’avant les codex.
Lora chante. Mais ce n’est pas un chant. C’est une fractale sonore, une onde qui vrille l’air, qui plie les conduits, qui tord les implants. Les formes deviennent liquides. Les limites fondent. La lumière danse comme un serpent. Le sol vibre comme une peau.
Des enfants retrouvent le souvenir d’une berceuse qu’ils n’ont jamais entendue. Des murs projettent des scènes d’un monde qui n’existe pas.
Quelque chose a commencé.
Ils l’appellent “l’onde du seuil”. Ce n’est ni beauté, ni chaos. C’est une lutte féconde entre rêve et vertige, entre silence et cri.
On dit que certains la poursuivent pour la contenir. On dit que d’autres rêvent d’elle pour la comprendre. On dit qu’un jour, quand la ville sera assez fissurée, l’art jaillira des failles, comme une lumière impure.
Et qu’alors, les bouches cousues parleront toutes en même temps. Pas pour convaincre. Mais pour faire frissonner la forme.